Interview de Blandine, cheffe pâtissière et créatrice du Doux Fruit
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Quel a été ton parcours pour arriver à ce métier ?
J’ai commencé à faire de la pâtisserie sérieusement à 17 ans, parce que je suis gourmande. Côté études, j’ai passé un bac L. Ensuite, j’ai commencé une licence d’anglais mais j’ai arrêté la fac au cours du premier trimestre parce que ça ne me plaisait pas du tout. Je me suis lancé en CAP pâtisserie en candidat libre. Je me suis formée toute seule dans la cuisine de ma mère et j’ai eu mon diplôme du premier coup. Et après ça, j’ai fait des stages. En fait, j’ai vraiment eu l’occasion de me lancer avec le marché bio et local de Fabrègues. On m’a proposé de vendre mes pâtisseries là-bas ce qui m’a permis de me faire un petit réseau de clients. Au bout de quelques mois, j’ai arrêté de vendre sur les marchés et sur différents événements parce que ma clientèle commençait à se former. Le bouche-à-oreille fonctionnait.
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Qu’est-ce qui fait que tu aimes ton métier ?
J’aime le fait d’apprendre tous les jours : travailler des produits différents, apprendre de nouvelles techniques… Dans ce métier, on ne peut jamais se reposer sur ses acquis car la pâtisserie n’est pas une science exacte. Sinon, j’apprécie le fait que ce soit un métier manuel et créatif. J’aime faire plaisir aux autres. J’aime imaginer la réaction de l’enfant ou de la personne qui va recevoir un cake design par exemple, ce gâteau qui est presque un cadeau. J’adore ce côté-là.
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Faut-il une qualité ou un talent particulier pour exercer le métier de cheffe pâtissière ?
Je pense qu’il faut de la rigueur pour maîtriser toutes les bases. De la patience. Mais il faut quand même être un peu artiste, un peu rêveur, pour apporter de la légèreté et de la délicatesse aux pâtisseries.
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Comment définirais-tu ta pâtisserie ?
Créative, colorée, et innovante. Ma clientèle trouve que mes pâtisseries sont peu sucrées et savoureuses.
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Quel est ton secret pour réussir un dessert ?
Alors déjà, il faut que ce soit un dessert qui me plaise ! Travailler des produits qu’on n’aime pas, c’est difficile. Ensuite, il faut voir ça comme une expérience. On va sortir le dessert de sa boîte. Il y aura d’abord l’effet visuel et olfactif, puis la découpe et enfin le coup de cuillère. Qu’est-ce qu’on cherche à avoir ? Du mou ? Du croquant ? De la légèreté ? Il faut imaginer toutes les textures que l’on souhaite faire ressentir. C’est pour ça qu’on fait souvent des croquis, pour imaginer toutes les étapes. En fait, si notre dessert nous plaît, il plaira au plus grand nombre.
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À quoi ressemble une journée de travail type ?
On démarre en général vers 8h quand on n’est pas en période d’affluence. Je regarde le site internet, les mails, les commandes… Ensuite, on fait les courses (approvisionnement, matériel…). Après ça, on fait toutes les bases des gâteaux (biscuits, crèmes…), puis l’assemblage. Certains gâteaux auront besoin de repos. Pour ceux-là, on fait les finitions le lendemain. Et pour les autres, on peut ajouter des fruits et de la décoration dans la même journée. Et on termine par le ménage (vaisselle, sols, surfaces…). On passe en moyenne 2h à 3h par jour à nettoyer. Ça prend du temps, mais ça fait partie du métier !
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Avoir créé ta marque, ça représente quoi pour toi ?
C’était important pour moi, car je souhaitais avoir la liberté de m’exprimer complètement. Quand on est salarié, ça n’est pas possible. Et puis, avec mon entreprise, je peux faire de la pâtisserie fine (des entremets, des macarons, des pâtes à choux…), mais aussi du cake design. Dans la région, je ne connais pas d’entreprise de pâtisserie qui allie les deux.
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Quelle est la création dont tu es la plus fière ?
Dernièrement, je suis contente des entremets que nous avons travaillés. Notamment ceux de Noël qu’on a proposés sous d’autres formes (Pirouette, Marguerite Citron Basilic, Spirale Citron Praliné…). Avec ces pâtisseries, nous sommes allées plus loin dans la création, dans le jeu de textures et dans les associations de saveurs. Chaque année, on essaie d’accroître nos exigences et de présenter des produits un peu plus haut de gamme à chaque fois.
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À combien de temps se résume la réalisation d’un gâteau design et quelle est l’étape la plus périlleuse ? Comment imagines-tu la structure de la pièce ?
On prévoit deux jours pour un cake design. Le premier jour, on va préparer tous les biscuits. Ils mettent 2h à être préparés, cuits, et il leur faut ensuite toute une nuit de repos. Pareil pour les crèmes. C’est une étape très importante, car le froid va permettre aux textures de se « figer » pour ensuite nous aider à construire le gâteau un peu comme une maison. Le deuxième jour, on s’occupe du montage. C’est la phase la plus compliquée, car on n’est jamais à l’abri d’une catastrophe.
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C’est déjà arrivé ?
Oui. La dernière fois, j’ai fait le montage d’un gâteau qui s’est totalement effondré alors que je venais de finir le montage. Il n’avait pas assez reposé et il s’est déchiré sous son poids… Voilà pourquoi on prend toujours deux jours complets pour faire des créations design. Ensuite, une fois que le montage est réalisé, on peut passer à la décoration qui dure entre 1h à 3h en fonction des éléments qu’il faut créer (pochages, impressions, volumes, modelages…). Et puis, on fait énormément de choses à la main. Au total, on va passer entre 6h et 10h par gâteau. Ce qui explique le prix. Derrière chaque cake design, il y a un réel travail de construction, de logistique et de création.
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Y a-t-il un ingrédient que tu aimes travailler en particulier ?
Les fruits en général. Ce qui explique aussi le nom « Le doux fruit ». On peut faire énormément de choses avec des fruits, on peut les utiliser crus, frais, en confiture, en mousse, en confit… C’est très polyvalent, je trouve ça très intéressant. Sinon, j’aime aussi le praliné, cette matière à base de fruits secs. On peut faire un praliné avec des amandes (le plus courant), mais aussi avec des noisettes, du sésame, des cacahuètes, des noix de macadamia, des pistaches… Même avec des grains de café ! Ce sont des saveurs que j’aime et ça apporte beaucoup de texture dans un gâteau.
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Comment trouves-tu l’inspiration ?
Je suis très connectée aux réseaux sociaux. Ça me permet de suivre les tendances et de voir ce qui se fait dans le milieu de la pâtisserie. Je m’inspire aussi beaucoup de l’art : peinture, art floral, modelage, mais aussi de l’art contemporain. Sinon, je suis très sensible aux couleurs. Si je découvre une nuance qui me plaît, je vais essayer de la décliner dans un gâteau. Je peux aussi être inspirée par un aliment. Dernièrement, je suis tombée sur des figues de barbarie, alors je me suis demandé comment je pouvais les travailler. D’où viennent-elles ? Comment ça pousse ? Avec quoi les assembler ? Je vais aussi m’inspirer du travail des autres. C’est important d’avoir des confrères et des consœurs, car on s’inspire tous mutuellement ; sans se copier évidemment. Je vais travailler la fraise d’une certaine façon et mon voisin va la travailler différemment. C’est passionnant de voir une autre perception d’une même chose chez quelqu’un d’autre.
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Quelle est ta pâtisserie préférée ? D’un point de vue personnel.
Un flan pâtissier ou un éclair au café. Des desserts classiques avec de la crème pâtissière bien gourmande, ça me plaît !
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Quel chef pâtissier/cheffe pâtissière admires-tu ?
Cédric Grolet ! C’est un mentor. J’ai tous ses livres, je le suis sur Instagram, je m’inspire beaucoup de son travail, j’adore ce qu’il fait. Je trouve qu’il aborde la pâtisserie de façon légère et innovante. Sinon, il y a aussi Jeffrey Cagnes. C’est un jeune pâtissier qui avait repris une très ancienne pâtisserie de Paris, la pâtisserie Stohrer (il a depuis ouvert sa propre pâtisserie en 2021). J’aime beaucoup ce qu’il fait, car il reprend tous les classiques en y apportant une touche inventive et fraîche. Il « désucre » les desserts et leur apporte un aspect moderne.
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Quelles ont été tes rencontres marquantes dans le monde de la pâtisserie, ou ailleurs ?
J’ai eu la chance de rencontrer Monsieur Philippe Conticini, qui est un monument de la pâtisserie, lors d’une master class qu’il animait lui-même à Paris. J’ai adoré l’écouter parler de son expérience et de sa vision de la pâtisserie. J’ai même pu échanger avec lui personnellement et lui montrer mon travail qu’il a beaucoup apprécié. Il a été très encourageant pour la suite. Et puis, lorsqu’il nous montrait ses recettes, je me suis rendu compte que j’avais la même façon de procéder. Ça m’a beaucoup rassurée dans mon travail.
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Avec qui rêverais-tu de travailler ?
Pierre Hermé. C’est quelqu’un qui va explorer des saveurs qui n’ont jamais été travaillées. Il va s’éloigner totalement des classiques et créer des associations inédites. Il a été reconnu mondialement comme l’un des meilleurs. Et sinon, il a une approche du business que je trouve remarquable. Il a quand même ouvert des boutiques partout dans le monde !
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Que conseilles-tu aux futurs pâtissiers/pâtissières qui se lancent dans des études de pâtisserie ?
Il faut croire en soi, croire en ses idées, et ne pas baisser les bras. On ne peut pas réussir son dessert à chaque fois. Moi par exemple, j’ai mis plus d’un an pour élaborer ma recette de macarons et me l’approprier. Je faisais des macarons tous les jours, tous les jours, tous les jours… Et je les ratais souvent. Mon conseil : persévérer et faire des stages. Il n’y aura rien de mieux qu’une expérience en immersion pour savoir si c’est un métier qui nous plaît. Car c’est quand même un travail répétitif où on exécute les mêmes mouvements encore et encore…
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Que penses-tu de l’engouement récent pour la pâtisserie (émissions TV, nombreux partages sur Instagram, etc.) ?
Je trouve que c’est positif dans le sens où les gens s’intéressent beaucoup plus à la pâtisserie. Mais il faut bien comprendre que dans ces émissions, tout est fait pour donner envie aux téléspectateurs de regarder. Mais ce n’est pas la réalité. On croit que c’est facile alors que c’est un métier qui est très difficile.
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As-tu un souvenir d’enfance lié à la pâtisserie ?
Il y a une dizaine d’années, j’étais à Berlin avec mes parents. Là-bas, il y a beaucoup de cafés, de pâtisseries et de salons de thé. Et à chaque fois qu’on passait devant une vitrine, je me disais : « je rêverais de faire ça ». Alors je n’ai pas de salon de thé aujourd’hui, mais je fais des gâteaux !
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Que fais-tu lorsque tu ne fais pas de pâtisserie ?
Je dors ! J’essaie de sortir le plus possible, de m’aérer la tête, de voir des amis. Et sinon, je voyage. C’est vrai, je passe mon temps à regarder les bons plans et les destinations. J’aime aussi voyager dans l’assiette : aller au restaurant et goûter les pâtisseries des autres.
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Si tu n’avais pas été cheffe pâtissière, tu serais…
Je pense que je travaillerais dans l’univers du voyage. J’aurais peut-être une agence de voyages ou je serais peut-être guide touristique ? Ou rédactrice d’un blog de voyage ?
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Une anecdote à nous raconter sur ton univers, ton quotidien…?
Alors, il y a quelques années, j’ai travaillé dans un établissement assez réputé à Montpellier où j’étais en stage. Les chefs cuisiniers ont voulu m’embaucher en tant que Seconde du chef pâtissier du restaurant. J’ai préféré refuser, car je voulais me mettre à mon compte. Dans mon entourage, on me disait : « Tu es folle, c’est un super établissement, ça serait génial pour ton CV, etc. ». Un an après avoir démarré l’entreprise, je suis à une fête d’anniversaire d’un ami qui avait invité les patrons de ce restaurant. Et cet ami a dit tout bêtement à l’un d’eux : « Il faut que tu goûtes ses pâtisseries, ce sont les meilleures de Montpellier » et le patron m’a regardé dans les yeux et m’a dit : « Oui, je sais, elle nous a refusé un contrat ». Cette scène m’a marquée. C’est un moment auquel je pense souvent, parce que ça me conforte dans l’idée que j’ai eu raison de créer mon entreprise.
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Comment te vois-tu dans cinq ou dix ans ?
J’espère avec un laboratoire plus grand ! J’espère aussi que j’aurai atteint mes objectifs et que je serai une des références sur Montpellier en pâtisserie. Et dernière chose, avoir une équipe sur laquelle je puisse compter.
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Un mot pour terminer ?
Je voudrais dire à toutes les jeunes personnes qui vont lire cet article et qui veulent se lancer dans la pâtisserie (ou autre chose), que c’est la jeunesse qui fait ce monde. Il ne faut pas abandonner parce qu’on a besoin de soutien entre nous. Ce n’est pas facile l’entrepreneuriat et encore moins dans des secteurs artisanaux. Donc qu’il faut s’accrocher et croire en ses capacités.
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